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Quatre regards sur la musique française
Flash-back, de Philippe Hurel En écoutant, la pensée suit les réminiscences qui affleurent dans les mélanges de timbres: souvenirs internes et externes à l'oeuvre. Un subtil tissu de sons s'incarne progressivement, comme un organisme vivant artificiel. C'est comme si le nerf, le rythme, étaient dans le son lui-même. Des silences digestifs préparent ou achèvent des surgissements, des apogées d'émotion. Malgré tout, un certain lyrisme derrière les paillettes! Mais une vision ténébreuse, matérielle, charnelle. Une "sporogonie"... Diable, il faut en sortir, partir en forêt retrouver les champignons naturels! Ahhh voici une clairière. On respire. Et c'est la fin, comme un dernier retour, ludique et dérisoire. Une oeuvre de bonne facture, impressionnante, "émotionnante" mais peu émouvante et qui n'a pas imprimé ma mémoire. L'orchestre s'est montré d'emblée et de bout en bout fluide et clair. Concerto pour flûte, de Jacques Ibert - soliste: Sabine Morel Une oeuvre à la fois brillante et délicate, active puis rêveuse. L'envoi fut net et l'orchestre a montré une belle unité dans ses attaques. L'entrée de la flûte a d'emblée touché par son style très chanté. Sabine Morel maintient un beau son, net et pur, tantôt plein de rondeur, puis piquant quand il faut. Un rythme précis: des ralentissements millimétrés, des pauses franches, des accélérations brillantes et joyeuses. Les notes toujours attaquées du bon côté: par en haut, même quand c'est difficile, ouvrant ainsi les yeux de l'âme sur un horizon de possibles; par en bas, quand le mouvement y mène, pour résoudre nos attentes. Dans l'Andante, le ton juste: celui de la rêverie, entre langueur et méditation. Une belle harmonie de timbres avec l'orchestre. Dans le rondo, on a pu goûter les pizzicati chauds et bien dosés, ceux des violoncelles en particulier, dans leur dialogue avec la flûte. Si le développement final propose une partie de virtuosité un peu longue, l'interprétation n'a pas permis qu'on s'ennuie, grâce notamment au rythme bien soufflé de la flûte et plus encore par la qualité sonore de l'ensemble. Dans Syrinx, de Claude Debussy, donné en bis par la gracieuse soliste, on a pu apprécier le jeu très expressif des nuances, qui rendait bien l'alternance entre frénésie et chasteté, et une progression qui laissait à plaisir les émotions germer, puis croître. Watt, concerto pour trombone, de Pascal Dusapin - soliste: Alain Trudel Le ton est volontiers cruel, moqueur, puis empathique, compatissant. Ainsi, l'oeuvre est pleine de délicatesse par delà son aspect ludique. Elle développe une véritable mise en scène: du personnage de Watt bien sûr, mais aussi du son. En effet, les pupitres en se répondant, semblent organiser un ballet virtuel. Le genre du concerto est dépoussiéré: les parties où le soliste dialogue avec tel ou tel instrument sont mises en valeur (on n'a pas cette impression, si fréquente dans les concertos, qu'elles s'émancipent d'un orchestre uniforme). L'échange du soliste au trombone avec le trombone solo de l'orchestre (Georges Kraus) au fond à droite est saisissant. Le son de la petite flûte (Claire Humbertjean), à peine plus à gauche que le soliste, mêlé au trombone et aux violoncelles crée un des plus beaux passages de l'oeuvre: le trombone persiste dans les ténèbres alors que la petite flûte insiste pour l'attirer au soleil, au clair, à l'espoir. Les superlatifs manquent pour décrire le jeu d'Alain Trudel. D'abord, c'est un artiste complet: par moments, il danse avec son trombone, jouant sur la direction dans laquelle il envoie les notes. Mais surtout, il réussit à tirer de chacun des deux instruments des sons et des expressions inouïes. Voilà qu'il passe du rictus à la pitié, puis module et étire une sorte de plainte inattendue. Ici, il fait sautiller les notes, là il s'étale dans l'escalier... Avec la sourdine, Alain Trudel crée plusieurs qualités de son granulé. Tout cela convient bien à l'oeuvre: c'est à la fois tonique et attentionné. En bis, plein d'humour, il s'est permis, avec la bénédiction du compositeur, une petite variation jazzy en si bémol sur Watt: là encore il nous a régalé avec des effets sonores incroyables. Mais ce bis ne semblait pas préparé et le rythme n'était pas convaincant. Valses nobles et sentimentales, de Maurice Ravel Voilà une autre oeuvre très exigeante pour le son. Ici encore il fut de qualité: on peut rendre à Dominique My qu'elle a su mettre en valeur les qualités sonores des différents pupitres de la Philharmonie de Lorraine. Mais le cheminement subtil de la musique de Ravel, de la frondaison au "climax" sensoriel, n'a pas été rendu. L'ensemble manquait d'allant et de légèreté. Le rythme, et donc le charme, semblaient toujours rompus là où l'on espérait une envolée d'émotions. Le chef a-t-il imposé ce hachage afin de tout donner à la clarté sonore, sous l'influence des interprétations précédentes? Toute la féerie de Ravel s'en trouvait éradiquée. Le rythme de ces Valses nobles et sentimentales repose sur un fragile équilibre: un pas hors de la valse, mais un mouvement de valse tout de même; ou l'inverse: une phrase hors de la valse, avec un pas de valse... Dommage pour la fin, mais ce fut un très beau concert: tantôt brillant, tantôt rêveur, ici riant puis plein de candeur. Liens: - Page dédiée à Pascal Dusapin, sur ce site - nombreux liens - Sabine Morel, flûte - La sève et l'esprit (texte de B. M.) - Philharmonie de Lorraine (site officiel, Mairie de Metz) |